
Présenté au monde en 2012 avec Né pour mourirle personnage de Lana Del Rey n’avait pas encore atteint le succès commercial auquel ses collègues artistes féminines s’étaient envolées, notamment Taylor Swift, Beyoncé et Katy Perry.
Pourtant, l’impact visuel et musical de Del Rey s’avère non moins décisif dans le paysage musical pop international à travers son œuvre riche, à la fois fidèle à une personnalité reconnaissable par tous, mais toujours capable de se réinventer et de se métamorphoser. Elle ne cesse d’affirmer son autonomie artistique.
Les anciens titres de son répertoire (« National Anthem », « Young and Beautiful »…) deviennent régulièrement viraux grâce à TikTok, et de nouvelles idoles ont clamé leur admiration à leur jeune aînée (dont Billie Eilish, qui a avoué avoir une photo de Del Rey est restée bloquée sur l’écran de verrouillage de son tout premier téléphone). Mais ce qui impressionne le plus aujourd’hui, ce sont les dernières productions de la Californienne d’adoption, autant dans ses rythmes que dans sa créativité renouvelée.
Détermination sans artifice
Un peu plus de trois ans après les éloges de la critique et du public Norman putain de Rockwell ! Del Rey a poursuivi avec un livre de poèmes, Violet plié en arrière sur l’herbe (Simon et Schuster, 2020), et la sortie de deux beaux albums, Chemtrails sur le Country Club (2021) et Rampes bleues (2021). Avec Saviez-vous qu’il y a un tunnel sous Ocean Blvd, Le plus long album de Del Rey et l’un de ses plus excitants en termes d’évolution esthétique, l’ange troublé de l’Amérique déploie une beauté tentaculaire sur les 16 titres de l’album.
Certes, le titre de son neuvième album, une référence au Jergins Tunnel qui permettait autrefois aux habitants de Long Beach de se rendre à la plage, suggère qu’elle reste une chroniqueuse de la mythologie de Los Angeles. Si quelques chansons tissent encore des parallèles entre sa vie privée et la luminosité trompeuse de la ville, l’ambivalence californienne est moins dominante sur cet album que sur Norman putain de Rockwell !
D’abord portée par des ambiances plus tournées vers les cordes suspendues et le piano délicat, intensifiées par des chœurs féminins flirtant avec le gospel, la voix de Del Rey joue avec plus de registres qu’à l’accoutumée. Fini le temps où le chanteur, en vamp fatale brisé par la désillusion, surjouait simplement une suave étrangeté. Sans se départir des mystères caressants de sa voix (la chanson-titre langoureuse), son chant progresse parfois avec une détermination sans prétention (« The Grants »), expose crûment ses angoisses (« Fingertips ») et ose devenir spectralement élégant (« Paris, Texas »), ou imiter la simplicité folk (« Kintsugi ») de Joni Mitchell, déjà une référence majeure dans Chemtrails sur le Country Club.
À ses débuts, on avait parfois l’impression qu’Elizabeth Grant, le vrai nom de Del Rey, postulait pour des castings hollywoodiens rêvés, mettant en vedette des sosies de Lana Turner et des scénarios réécrits par la violence de James Ellroy ou la qualité onirique dérangeante de David Lynch. Aujourd’hui, elle pourrait être au générique d’un film de Terrence Malick avec sa capacité à évoquer son lien spirituel avec un environnement (« Sweet »). Ou elle pourrait se targuer d’avoir été influencée par John Cassavetes et la manière du réalisateur de saisir la fragilité et la névrose de la vie de famille (« Fingertips »). Elle rend même hommage aux expérimentations d’Andy Warhol comme dans « Judah Smith Interlude », où le prédicateur hollywoodien préféré du chanteur est enregistré en direct dans son église.
Tension désenchantée
Cette variété d’approches se retrouve dans la manière dont les styles musicaux s’entrechoquent. En éternel amoureux des grandes chansons américaines de l’ère pré-rock converti à la simplicité du folk, au storytelling de la musique folk-rock (« Let the Light In », en duo avec Father John Misty), et aux vertus hypnotiques de psychédélisme teinté de soul (« Candy Necklace », en duo avec le pianiste Jon Batiste), la chanteuse passe sans encombre à l’ère numérique. Particulièrement dans le dernier tiers d’un album, qui est imprégné de R’n’B (« Fishtail »), de rap futuriste (« Peppers », avec un sample de Tommy Genesis), et de trap (dans « Taco Truck x VB », qui elle-même remixe une section de « Venice Bitch »).
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Symbole de cette intensité multiple, « A&W » (co-écrit et co-produit, comme la majeure partie de l’album, par Jack Antonoff), le single atypique de l’album dépeint au départ la tension désenchantée d’une vie sans perspective amoureuse qui n’est pas sexuelle (« l’expérience d’être une pute américaine », chante-t-elle d’une voix tout aussi désespérée et désinvolte) sur une bande-son acoustique. Quatre minutes plus tard, un rythme électronique transforme le chanteur en un gamin effronté rappant sur un son électro en sueur pour créer l’un des morceaux les plus fascinants d’une carrière déjà remarquable.
Saviez-vous qu’il y a un tunnel sous Ocean Blvdpar Lana Del Rey (Polydor/Inerscope/Universal).
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