
Le 5 décembre 2022, à La Fémis, une école de cinéma parisienne, Nicole Brenez a donné un cours sur l’art de conclure un film. Le directeur du Département d’analyse et de culture cinématographiques a montré la fin du film de Philippe Grandrieux Sombre (1998) : Il comprend un fémicide, a-t-elle expliqué, après avoir prévenu que l’extrait contenait des images violentes. Il y eut un tollé des étudiants qui quittèrent la salle. « Le viol n’est pas un dispositif narratif, ce n’est pas un point d’intrigue dramatique et ce n’est pas une pulsion meurtrière qui existe en chaque être humain », écrivent les étudiants de première année deux jours plus tard dans un long mail à l’ensemble de La Fémis. « Le viol est une construction sociale largement acceptée, normalisée, esthétisée et érotisée. Il est temps d’en parler comme tel. » Signé : « Les femmes de la classe Kelly Reichardt ».
Était-ce un cas isolé? Pas vraiment. L’incident reflète une tendance plus large que l’on retrouve dans la plupart des endroits où la culture est enseignée. A La Fémis, l’administration a organisé en urgence un débat le 9 décembre 2022. « Trois heures de dialogue entre deux générations inconciliables », raconte un étudiant. « Au contraire, Nathalie Coste-Cerdan, la directrice générale, a insisté sur le fait que c’était un échange fructueux et que tout était rentré dans l’ordre. s’est réuni à plusieurs reprises pour explorer la question de savoir comment mieux cadrer et contextualiser les performances violentes, sans les interdire.
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Fin janvier au bar parisien Le 61, Brenez fait dédicacer le livre qu’elle vient d’écrire, Jean-Luc Godard. La petite salle grouillait de cinéphiles venus l’écouter. Émue, elle parlait doucement, tout son corps semblait s’excuser d’être là, d’avoir été brièvement sous les projecteurs : « Dans ma génération, on s’intéressait plus aux œuvres qu’aux gens. Je suis formaliste, j’ai été formée comme ça. Alors que je suis une groupie de Godard, je n’ai jamais lu de biographie et jamais imaginé le rencontrer », a déclaré le critique devenu proche du réalisateur. Nous avons essayé de lui parler. Nous avons mentionné La Fémis. Sa voix se tarit, submergée de tristesse. Elle s’est contentée de balbutier : « Toute mon existence, mon cadre, mon idéologie, m’empêchent de me battre avec mes élèves. J’ai toujours été pour la liberté d’expression et de questionnement. Je suis là pour les aider. La situation est d’une absurdité totale. »
Aux Beaux-Arts de Marseille, c’était Le Mépris (Mépris, 1963), également de Godard, qui a mis Didier Morin, qui a enseigné le cinéma et la littérature pendant un quart de siècle, sur la sellette. « Depuis quelques temps, pendant les projections, j’entendais un brouhaha au fond de la salle. Je pensais que c’était juste de l’inattention, mais, ce jour-là, j’ai compris. » Ce jour-là, un groupe d’étudiantes s’est levé et a débranché le projecteur.
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