Migrants secourus en Méditerranée : que dit le droit international ?

Le bras de fer diplomatique entre Paris et Rome sur le sort des 234 migrants à bord de l' »Ocean Viking » a finalement pris fin jeudi 10 novembre. Le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé à la mi-journée que le port de Toulon autoriserait « exceptionnellement » dernier des quatre bateaux humanitaires bloqués en Méditerranée à accoster vendredi. Il a ajouté qu’un tiers des passagers – tous des réfugiés de Libye – seront « relocalisés » en France tandis que ceux qui ne répondent pas aux critères de demande d’asile « seront immédiatement expulsés ».

Le navire de l’ONG SOS Méditerranée avait auparavant demandé à l’Italie d’être autorisée à débarquer 43 fois, en vain. Mardi, il a pris la direction de la France. Dans un premier temps, le pouvoir exécutif a exclu toute possibilité d’accostage, renvoyant l’Italie sous sa responsabilité. « La règle européenne est que le bateau doit débarquer dans le port le plus proche, qui est un port italien », a déclaré jeudi matin le ministre français des Finances et de l’Economie Bruno Le Maire à la télévision française.

La veille, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran avait déjà demandé à l’Italie de « respecter ses engagements européens » en autorisant l’accostage de « l’Ocean Viking ». « Le bateau est actuellement dans les eaux territoriales italiennes, il y a des règles européennes extrêmement claires qui ont été acceptées par les Italiens », a déclaré M. Véran, qualifiant l’attitude de Rome d' »inacceptable ». Mardi, le nouvel exécutif italien, dirigé par la présidente du conseil Giorgia Meloni (extrême droite), avait évoqué l’arrivée du navire en France comme une certitude. L’annonce – démentie par Paris – visait à faire évoluer la position française.

Lire la suite Abonnés uniquement La France et l’Italie se disputent le sort d’un navire humanitaire avec 234 migrants

Alors que Paris et Rome continuent de se pointer du doigt, que dit le droit international des migrants secourus en mer ? Quels sont leurs droits, une fois qu’ils ont été secourus par un bateau ? Quelles sont les dispositions pour leur débarquement ? Le Monde résumer.

Atterrir dans un « lieu sûr »

Le droit de la mer est régi par plusieurs traités internationaux. Ce qui est absolument clair, c’est que toute personne en danger doit être secourue. Cette obligation est inscrite dans la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS), adoptée en 1974, et la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS), adoptée en 1982. « Tout navire qui a connaissance d’un La situation de détresse doit cesser si elle est à proximité ou se dérouter si elle est la plus proche de la zone afin de prendre en charge les personnes dont la vie est menacée », a expliqué Franck Dollfus, avocat spécialisé en droit maritime. La seule réserve est que le capitaine doit pouvoir le faire sans mettre en danger son bateau et son équipage.

Deuxièmement — et contrairement à ce qu’a dit M. Le Maire — le droit international n’exige pas le débarquement « au port le plus proche » mais en « lieu sûr ». Selon l’Organisation maritime internationale (OMI), l’agence des Nations unies chargée d’assurer la sécurité du transport maritime, cela signifie « un lieu où les opérations de sauvetage sont considérées comme terminées ; où la sécurité de la vie des survivants n’est plus menacée et où leur les besoins humains (tels que la nourriture, le logement et les besoins médicaux) peuvent être satisfaits ». L’obligation de débarquer en « lieu sûr » et « dès que raisonnablement possible » a été ajoutée en 2004 à la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes (SAR), initialement adoptée en 1979. De plus, en vertu de la Convention SAR, les États ont l’obligation de « coordonner » et de « coopérer » pour débarquer les personnes secourues en lieu sûr. « Ces exigences sont suffisamment vagues pour être sujettes à interprétation », a souligné M. Dollfus.

En bref, le droit de la mer exige que les migrants en péril soient secourus, mais il ne dit pas quel État doit les recevoir. « Les conventions maritimes n’ont pas été conçues dans l’idée de résoudre les problèmes de migration. Il en résulte des conventions qui se chevauchent et se contredisent parfois », a noté M. Dollfus. La Convention sur les réfugiés (1951), dont l’Italie est signataire, stipule qu’un réfugié ne doit pas être renvoyé dans un pays où il fait face à de graves menaces pour sa vie ou sa liberté. « Ce principe risque d’aller à l’encontre des règles d’accueil des étrangers sur le territoire national, qui peuvent être plus ou moins strictes », a admis M. Dollfus. Il a conclu, « nous sommes ici face à une situation 100% politique ».

Pas de mécanisme européen clair et durable

Amarrés à Catane (Sicile) depuis dimanche, les navires humanitaires « Geo Barents » de Médecins sans frontières (MSF) et « Humanity 1 » de l’ONG allemande SOS Humanity ont enfin pu débarquer mardi tous leurs passagers. Au départ, les autorités italiennes n’acceptaient que les mineurs et les malades. Le ministre italien des Affaires étrangères, Antonio Tajani, a confirmé mercredi que la division était un signe pour forcer l’Europe à aider l’Italie.

« En refusant l’accostage de « l’Ocean Viking », l’Italie rejette clairement un accord qui lui est en réalité favorable » — Matthieu Tardis de l’IFRI

« Les manœuvres de blocage du gouvernement de Giorgia Meloni visent à montrer sa ligne dure sur l’immigration », a ainsi interprété Matthieu Tardis, responsable du Centre Migrations et Citoyenneté de l’Institut français des relations internationales (IFRI). a rappelé une situation similaire à l’été 2018, dans laquelle l’Europe s’opposait à l’Italie. La France et le gouvernement d’extrême droite de Matteo Salvini s’étaient notamment affrontés au sujet de l' »Aquarius », l’ancien navire de SOS Méditerranée, qui a finalement débarqué à Valence (Espagne) en juin. La France, pour sa part, a refusé d’accepter le bateau. A l’époque, Emmanuel Macron disait ne pas vouloir céder aux « provocations des extrémistes » et estimait qu’un tel scénario n’était « pas soutenable, même politiquement, en France dans l’intérêt de notre propre équilibre ».

En effet, le débarquement des migrants des navires humanitaires fait presque inévitablement l’objet de négociations tendues entre États sur leur attribution définitive. Au niveau européen, le sujet de la relocalisation des demandeurs d’asile empoisonne les débats depuis 2015 et la soi-disant « crise des réfugiés ». À l’époque, la Commission européenne avait proposé que tous les pays membres accueillent les réfugiés dans un esprit de solidarité. Cependant, les États d’Europe centrale ont bloqué le processus.

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En l’absence d’un mécanisme européen clair et durable, les accords sont conclus au cas par cas. « En juin, dans le sillage de la présidence française [of the European Union (EU)], les choses ont légèrement avancé. Un accord a été conclu sur la relocalisation des demandeurs d’asile arrivant dans les Etats méditerranéens (Italie, Chypre, Grèce, Espagne, Malte) vers d’autres Etats membres volontaires pour les accueillir », a expliqué M. Tardis. Ce mécanisme est d’une durée d’un an renouvelable. Cependant, les pays qui ne souhaitent pas accueillir de nouveaux migrants doivent fournir une aide financière à ceux qui le souhaitent.

Pour M. Tardis, « en refusant de recevoir l' »Ocean Viking », l’Italie rejette clairement un accord qui lui est en réalité favorable », même si ce n’est pas très pratique. Pour l’heure, 13 pays se sont engagés à accueillir 8 000 personnes, dont 3 000 pour l’Allemagne et 3 000 pour la France, pour soulager les pays de première entrée en Europe. En effet, selon la Commission européenne, l’Allemagne en a accueilli 74 en octobre et la France 38 fin août. M. Tardis considère l’attitude de Rome comme « une réponse populiste du gouvernement Meloni pour satisfaire son électorat ».

Traduction d’un article original publié en français sur lemonde.fr ; l’éditeur ne peut être responsable que de la version française.

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