
Un bataillon d’experts fiscaux, un contrat peut-être antidaté et plusieurs sociétés écrans caribéennes : tels sont les éléments de l’opération qui ont permis à Patrick Drahi d’éviter de payer des impôts sur le transfert de sa vaste collection d’œuvres d’art, estimée à au moins 750 millions d’euros. Cette stratégie d’optimisation fiscale agressive flirte avec les limites de la légalité, selon une enquête menée par Le Monde et le magazine suisse Heidi.news.
Les e-mails, contrats de vente, mémos internes et feuilles de calcul qui ont permis de reconstituer cette histoire faisaient partie des nombreux documents confidentiels volés par le groupe cybercriminel Hive après avoir piraté Altice, la holding de Patrick Drahi. Ils ont été publiés en ligne en août après que la demande de rançon n’ait pas été satisfaite. Le Monde a décidé d’utiliser ces données malgré leur origine criminelle en raison de leur intérêt public. Ces documents, précédemment couverts par le site Reflets.info, révèlent l’utilisation de pratiques fiscales douteuses par le magnat des médias et des télécoms, le 11e personne la plus riche de France selon Défis magazine et propriétaire de BFM-TV et SFR.
L’histoire commence au 5 rue Eugène-Ruppert à Luxembourg-Ville. Le noyau financier de l’empire Drahi est situé dans ce petit centre d’affaires sans âme. Des dizaines de boîtes aux lettres partagent la même adresse : les holdings du groupe Altice (médias, télécoms) et les sociétés portant les investissements privés de son fondateur, Patrick Drahi. L’un d’eux, Before SA, détenait jusqu’à récemment un portefeuille de plus de 200 œuvres qui feraient l’envie des musées les plus prestigieux : cinq Picasso, 11 Magritte, huit Chagall, un Modigliani, un triptyque de Bacon, deux Rodin et deux Giacometti. sculptures.
Les LuxLeaks qui changent la donne
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Heureusement, les pièces de ce trésor n’étaient pas accrochées aux murs du 5 rue Eugène-Ruppert lorsqu’il a récemment été victime d’un dégât des eaux. Ils étaient entreposés dans des endroits sûrs : chez des particuliers, au port franc de Genève et dans les entrepôts de la maison de vente aux enchères Sotheby’s, que M. Drahi a racheté en 2019. En détenant sa collection par l’intermédiaire d’une société luxembourgeoise, le milliardaire, résident suisse, a pu de bénéficier d’une fiscalité favorable grâce à laquelle il espérait ne pas payer d’impôt sur les plus-values le jour où il en transférerait une partie, à un acquéreur ou à ses enfants.
Cependant, son espoir a été mis en péril lorsque l’Union européenne (UE) a adopté la directive ATAD 2 en 2017. Ce règlement a été créé dans la foulée du scandale LuxLeaks, visant à limiter drastiquement les opportunités d’optimisation fiscale offertes par les paradis fiscaux européens comme le Luxembourg ou le Luxembourg. Pays-Bas. Il plafonne l’utilisation de mécanismes de déduction fiscale spécifiques, dont les CPEC, des instruments financiers hybrides largement utilisés au sein de l’empire Drahi. Comme souvent, les autorités ont laissé suffisamment de temps aux acteurs financiers pour s’adapter à la nouvelle règle : la réforme n’est entrée pleinement en vigueur qu’au 1er janvier 2022, ce qui a largement laissé le temps de trouver une solution de repli.
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