La France tente d’adapter les politiques d’immigration aux besoins de main-d’œuvre

Le gouvernement français a annoncé mercredi un projet de loi qui créerait un permis de séjour spécifique pour permettre aux immigrés illégaux qui travaillent dans un secteur en sous-effectif de légaliser leur statut. La nouvelle mesure vise à lutter contre l’exploitation des migrants sans papiers et intervient à un moment où de nombreux pays européens connaissent des pénuries de main-d’œuvre.

L’immigration a occupé le devant de la scène en France cette semaine, la question des arrêtés d’expulsion des sans-papiers dominant le discours politique, suivie d’un tumulte parlementaire après qu’un député d’extrême droite a crié jeudi « Retournez en Afrique! » en tant que législateur noir d’extrême gauche a posé une question sur les arrivées de migrants.

La dernière agitation a été déclenchée lorsque Carlos Martens Bilongo du parti d’extrême gauche La France insoumise (LFI) a remis en question la réponse du gouvernement aux migrants secourus en mer ces derniers jours.

Grégoire de Fournas, un membre nouvellement élu du Rassemblement national (RN) d’extrême droite anti-immigration, a prétendu avoir crié : « Ils devraient retourner en Afrique ! », mais a été interrompu.

En français, les prononciations des pronoms « il » et « ils » sont similaires. Le commentaire a été perçu comme une suggestion de de Fournas à son collègue parlementaire noir de retourner en Afrique.

Vendredi, de Fournas a été giflé avec une suspension de 15 jours de l’Assemblée nationale française ainsi qu’une réduction de salaire.

La fureur parlementaire de jeudi est survenue un jour après que le gouvernement français a dévoilé une série de nouvelles mesures qui tentent d’intégrer les politiques d’immigration aux besoins du marché du travail.

L’équilibre entre l’immigration et l’emploi a été mis en évidence dans une interview conjointe du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et du ministre du Travail Olivier Dussopt avec le quotidien français Le Monde mercredi.

« Si je devais résumer, je dirais que nous devons maintenant être durs avec les méchants et gentils avec les respectueux des règles », a déclaré Darmanin au Monde.


Le nouveau projet de loi sur l’immigration, qui sera débattu au parlement début 2023, accélérera l’expulsion de certains sans-papiers tout en créant des titres de séjour pour les sans-papiers déjà en France et qui souhaitent travailler dans des secteurs en pénurie de main-d’œuvre.

Bien que les ministres n’aient pas révélé quelles industries seront couvertes par le nouveau projet de loi, la France compte de nombreux secteurs en sous-effectif qui dépendent fortement des travailleurs étrangers, tels que la construction, la restauration, l’hôtellerie et l’agriculture.

Nouveau permis « compétences recherchées »

La création du «métiers en tension» – ou « compétences recherchées » – le titre de séjour s’inspire d’une circulaire officielle de 2012 qui permettait aux migrants installés sur le sol français depuis plusieurs années et travaillant depuis plusieurs mois d’obtenir un titre de séjour. Les dossiers sont examinés au cas par cas. La procédure nécessite un contrat de travail ou une lettre d’embauche. La durée du permis de séjour dépend de la durée du contrat de travail.

Avec le projet de titre de séjour « compétences recherchées », un travailleur sans papiers pourra demander personnellement un statut légal « sans passer par l’employeur », qui peut avoir intérêt à maintenir les travailleurs dans leur statut sans papiers, a expliqué Dussopt. Étant donné que les travailleurs sans papiers ne sont pas couverts par le droit du travail français, ils travaillent souvent pour un salaire inférieur dans des conditions d’exploitation.

Les ministres n’ont pas encore précisé si les sans-papiers devront présenter un contrat de travail ou une lettre d’embauche (comme c’est déjà le cas dans le cadre de la circulaire de 2012). Si tel est toujours le cas, la disposition permettant aux migrants de demander un permis « sans passer par l’employeur » semblerait contradictoire.

La création de la carte de séjour « compétences recherchées » permet à la France de « lutter contre de nombreuses irrégularités et abus, comme le travail illégal ou les entreprises ‘voyous’ qui emploient régulièrement des immigrés illégaux, ce qui constitue une concurrence déloyale pour les entreprises qui pratiquent le commerce selon les règles ». « , a déclaré à l’AFP Emmanuelle Auriol, économiste à la Toulouse School of Economics.

Les migrants économiques ne doivent pas obstruer le système d’asile

Les nouvelles mesures d’immigration sont pour la plupart symboliques, selon Virginie Guiraudon du Centre d’études européennes et de politique comparée de SciencesPo. Le gouvernement vise à « donner une impulsion politique ou à se positionner politiquement sur la question », a-t-elle expliqué.

Guiraudon a cité l’exemple de Stéphane Ravacley, boulanger à Besançon, dans l’est de la France, et de son apprenti, Laye Fodé Traoréiné, un jeune homme d’origine guinéenne. Leur histoire a fait sensation dans les médias en France lorsque Ravacley a entamé une grève de la faim en janvier 2021 pour exiger la légalisation de son apprenti, qui a fait l’objet d’un ordre d’expulsion lorsqu’il a eu 18 ans, en tant qu’adolescent sans papiers.

Ravacley, un boulanger français corpulent, a dû être hospitalisé pendant sa grève de la faim. Sa pétition sur Change.org appelant à la légalisation de son apprenti a recueilli plus de 200 000 signatures et mobilisé la ville ainsi que des célébrités à travers la France.

Le cas du boulanger d’une petite ville et de son apprenti a mis en lumière l’approbation du public pour permettre aux migrants d’accéder à un emploi et de le conserver, alors même que le parti d’extrême droite RN augmente sa part de voix lors d’élections successives.

Guiraudon note que « nous n’avons peut-être pas besoin d’une loi pour régulariser les sans-papiers » car « le vrai problème en France, c’est qu’il faut attendre des mois, parfois des années, pour avoir une réponse de la préfecture sur nos papiers ».

Malgré les lacunes du système d’immigration, y compris ses longs délais, Catherine Wihtol de Wenden du Centre d’études internationales de SciencesPo salue les nouvelles mesures, qui, selon elle, sont réalistes et pourraient aider à lutter contre la fraude à l’immigration. Il s’agit notamment de nombreux cas de migrants économiques qui obstruent le système d’asile français avec des demandes de statut de réfugié. « Ce nouveau permis de séjour incitera les gens à ne pas demander l’asile puisqu’ils savent qu’ils pourront demander un statut de travail légal », a-t-elle noté.

Les nouvelles mesures ont été soutenues par le MEDEF, la plus grande organisation patronale de France. Mais les critiques conservateurs et d’extrême droite disent qu’ils ne vont pas assez loin dans la lutte contre l’immigration illégale.

« Immigration sélective »

Dans son interview au Monde, Darmanin a noté que le gouvernement tentait de mettre en place une politique « d’immigration sélective » ou, plus précisément, de « régulation sélective ». L’idée, a expliqué le ministre de l’Intérieur, était de réguler l’immigration à une échelle mesurée plutôt que massive.

Le gouvernement n’a pas précisé si les réglementations « sélectionnées » s’appliqueront aux nouveaux arrivants ou seront limitées aux sans-papiers déjà en France.

Au cours de la dernière décennie, les gouvernements français de centre-droit ont tenté de mettre en œuvre des politiques similaires aux systèmes basés sur des points en Australie et au Canada, où l’éligibilité à l’immigration est déterminée par la capacité d’un candidat à obtenir un score supérieur à un certain nombre de points dans un système de notation qui comprend des facteurs. tels que le niveau d’éducation, les compétences professionnelles et la maîtrise de la langue. Les États-Unis tiennent également une liste des professions pour les visas de travail H-1B. Lorsqu’il était au pouvoir, l’ancien président français Nicolas Sarkozy a proposé un permis de séjour « emplois en demande » ainsi que des quotas d’immigration avant de renoncer aux propositions.

En Europe, il y a une prise de conscience croissante de la nécessité de remédier aux pénuries de main-d’œuvre, selon les experts en immigration. « Dans les pays européens, il y a une prise de conscience du manque de main-d’œuvre fournie par les nationaux et de la nécessité d’ouvrir le marché du travail à l’immigration. C’est un bon signe, car cela permettra à un certain nombre de personnes de travailler légalement en Europe. explique Wihtol de Wenden.

Lorsqu’il a pris ses fonctions en décembre, le chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré que « l’Allemagne est un pays d’immigration ». S’adressant au Bundestag, la nouvelle chancelière a déclaré qu’il était « grand temps que nous nous comprenions. Il est donc grand temps de faciliter l’accès des immigrés à la citoyenneté allemande.

La nouvelle administration allemande s’est engagée à attirer 400 000 travailleurs qualifiés chaque année, et en juin, elle a approuvé un plan permettant aux immigrés « assimilés » sans titre de séjour d’accéder plus facilement à des cours d’intégration et de langues professionnelles.

Une autre réforme dévoilée en juillet permet aux étrangers de venir en Allemagne s’ils peuvent justifier d’une expérience professionnelle et d’un contrat de travail dans le pays. L’Allemagne s’apprête également à mettre en place un système de points, comme l’Australie et le Canada, pour attirer des travailleurs qualifiés.

En Europe du Sud, l’Italie, confrontée à un vieillissement rapide de sa population, fait massivement appel à la population migrante, notamment pour des emplois peu qualifiés dans le secteur agricole, le bâtiment, l’hôtellerie et la restauration. Guiraudon cite l’exemple des « femmes qui travaillent dans des maisons de retraite en Italie » et qui bénéficient d’un titre de séjour spécifique. « En Italie, est-ce que ça protège complètement les salariés ? Ce sont encore des emplois très mal payés, donc ça ne résout pas tous les problèmes », a-t-elle prévenu.

La politique italienne d’« immigration sélective » pourrait cependant être remise en cause par le nouveau gouvernement d’extrême droite du Premier ministre Giorgia Meloni, qui s’oppose ouvertement à l’immigration.

(Cet article est adapté de l’original en français.)

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