Brigitte Giraud remporte le prix Goncourt pour « Vivre vite »

Le prix Goncourt a été décerné à Brigitte Giraud pour son roman Vivre vite (« Live fast »), édité par Flammarion et non encore traduit en anglais. Trois autres livres étaient également en lice : Le Mage du Kremlin (« Le Magicien du Kremlin ») de Giuliano da Empoli, qui a déjà reçu le Grand Prix de l’Académie française, Les Presque Sœurs (« Les Presque Sœurs ») de Cloé Korman et Une somme humaine (« Une somme humaine ») de Makenzy Orcel. L’annonce a été faite jeudi 3 novembre, au restaurant Drouant à Paris, où les jurés se réunissent chaque année.

Quelques minutes plus tard, au même endroit, le prix Renaudot était décerné à Simon Libérati pour Performance.

Défier les prédictions des critiques dans le magazine littéraire Livres Hebdoqui la plaçait en outsider derrière le favori Giuliano da Empoli, la romancière lyonnaise a finalement été récompensée par un grand prix littéraire pour ses 14e livre. Son éditeur Flammarion aussi, 12 ans après l’attribution du Goncourt à un autre écrivain de son écurie, Michel Houellebecq, pour La carte et le territoire (La carte et le territoire). Elle est la 13e femme récompensée, six ans après le roman de Leïla Slimani Chanson douce (Berceuse).

Compte à rebours à bout de souffle

Dès le titre, Vivre vite (« Live Fast »), emprunté au musicien fétiche de son compagnon Lou Reed, et à l’épigraphe de Patrick Autréaux (« Ecrire, c’est être conduit là où l’on voudrait éviter »), Giraud donne le tempo musical et l’intrigue singulière de ce livre éminemment émouvant. Dans un compte à rebours haletant, le livre dresse le récit de la mort brutale de son compagnon Claude à l’âge de 41 ans. C’est le portrait sensible d’un homme, guitariste et critique de rock, et d’un couple insouciant, amoureux de musique et de littérature. , à l’aube d’une nouvelle vie.

Parents d’un petit garçon de 8 ans – Théo, à qui le livre est dédié -, les deux quadragénaires, après 20 ans de vie commune, ont décidé d’acheter une maison avec jardin sur les hauteurs de Lyon. C’était un endroit à eux, où « ils pouvaient poser leurs valises toute une vie ». Mais ils n’ont pas eu le temps : Un après-midi de juin 1999, sur le chemin de l’école, Claude est tué sur sa moto.

Deux ans après le drame, Brigitte Giraud écrit Un cadeau (« Actuellement », 2001). Focalisée sur la réalité pour atténuer la douleur, elle retrace les quelques jours qui ont suivi l’annonce de l’accident, jusqu’aux obsèques de Claude. Dès lors, la perte d’un être cher, d’un amour, d’un pays, ou la perte du chagrin de l’adolescence devient un thème central dans l’œuvre du romancier. Elle a une écriture subtile et précise, où le thème de la famille tient une place particulière. Pensez juste à Marée noire (« Marée noire », 2004), J’apprends (« J’apprends », 2005), L’amour est très surestimé (« L’amour est très surfait », 2007), qui a reçu le prix Goncourt de la nouvelle, Une année étrangère (« Une année à l’étranger », 2009) ou Avoir un corps (« Avoir un corps », 2013), dans lequel Claude réapparaît subrepticement.

La visite du propriétaire

« Chacun de mes livres est basé sur quelque chose qui m’a longtemps empêché de vivre, qui me dérange ou me donne l’impression d’hyperventiler (…) Ce que vous traversez est parfois plus que ce à quoi vous pouvez faire face, et l’écriture est un bien façon de contourner le problème », a-t-elle déclaré au mensuel littéraire Le Matricule des Anges en 2007. C’est précisément ce qu’elle fait en Vivre vite.

Avant de rendre les clés de la maison qui la reliait à l’homme qu’elle aimait, elle a décidé de visiter la question comme un propriétaire procéderait, en effet, à une visite de sa maison. Tour d’horizon de toutes les questions restées sans réponse depuis l’accident. Mais aussi de toutes les hypothèses : elle aurait pu l’éviter si elle ne s’était pas obstinée à acheter cette maison ; si son frère n’avait pas garé la moto chez eux, une Honda CBR Fireblade interdite au Japon mais pas à l’exportation ; si elle n’avait pas déplacé son rendez-vous chez son éditeur à Paris ; si elle avait eu un téléphone portable, si…

Dans une lancinante litanie de « si » qui rythme le récit, Brigitte Giraud rouvre la « boîte noire » et traque méthodiquement le moindre fait, le moindre geste, la moindre décision afin d’exposer les ressorts de l’existence. Ceux qui sont inexplicables, qu’on les appelle hasard, destin ou coïncidence, ainsi que ceux qui déterminent les choix que l’on fait pour soi, pour les autres, malgré soi ou sous l’influence d’injonctions familiales ou sociales.

Un fragment après l’autre

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Parce qu’elle ne peut concevoir le « je » sans le « nous », le personnel sans le collectif, chaque « si » sert de point de départ à une image, un souvenir de Claude et de leur relation. Fragment après fragment, Brigitte Giraud reconstitue leur histoire, au son de Coldplay, Joy Division ou Dominique A. L’histoire de deux jeunes gens nés en Algérie dans les derniers jours de la guerre, qui ont grandi dans une ville de banlieue à Rillieux-la -Pape, près de Lyon. Deux personnes fougueuses et fières, qui rêvaient d’un lieu plein d’amis, de fêtes, de musique, d’engagement… Devenu famille avec l’arrivée de Théo, le couple est devenu plus bourgeois et s’est laissé prendre dans les griffes d’un époque – celle des années 1990 et de l’argent facile nourrissant l’illusion du bonheur parfait.

Brigitte Giraud, pour qui écriture et musique sont liées, a cultivé ces dernières années des relations avec d’autres artistes, notamment avec les musiciens Laetitia Shériff, Albin de la Simone ou Dominique A. homme. Le garçon à la guitare qui n’est plus là », a-t-elle dit Le Monde en 2019. Une absence à laquelle, bien qu’elle ne parvienne pas à la combler, elle donne corps en Vivre vite – un livre porté par une nécessité vitale : l’incandescence de l’amour.

Traduction d’un article original publié en français sur lemonde.fr ; l’éditeur ne peut être responsable que de la version française.

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